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Hommage à une centenaire admirable : Laurette Chouinard
par Journal L'Attisée le 2022-11-02

Par Suzanne Ouellet, fille de Laurette Chouinard


Laurette Chouinard (Crédit photo : Francine Ouellet)


Il était une fois dans le grouillant canton des Trois-Saumons une brave et courageuse petite fille au joli prénom de Laurette. Enfant d’Emma Bélanger et d'Albert Chouinard, cultivateur, elle vit le jour le 24 octobre 1922 dans une maisonnée qui abritait également les bienveillants grands-parents paternels Zélie et François ainsi que la tante Marie, enseignante. La maison des voisins, Alexina, sœur d’Emma, et son mari Édouard, faisait office de gare, magasin général et bureau de poste selon le parti au pouvoir… sinon c’était chez Albert ; tout un environnement fertile et stimulant pour les p’tits Chouinard en cette époque où Internet n’existait pas. La vie ne manquait pas de piquant et de distractions à la Station de Trois-Saumons… On comprend donc d’où viennent ses p’tits yeux rieurs et son air coquin.

Cinquième d’une famille de 14 enfants, 9 garçons et 5 filles (le plus vieux est décédé à quelques mois) ; deuxième fille, quelle bénédiction pour supporter toutes les tâches que supposent la tenue d’une ferme dans ces années d’après-guerre et la trâlée d’enfants qui se succèdent à un rythme essoufflant… mais voilà, la petite semblait bien chétive et de santé fragile à ses premiers mois ; que les apparences sont trompeuses !

Pourtant douée à l’école, elle devra abandonner les études avant la fin de son primaire pour aider sa maman et le grand-papa vieillissant qui appréciait la vivacité et la serviabilité de sa petite brunette aux yeux de chat. Dès le début de son adolescence, ses services sont requis chez l’oncle Antoine à Tourville qui a une famille nombreuse ; tâche difficile que plusieurs déclinent sauf la vaillante et dévouée jeune Laurette. Puis ce fut aux Béchard à Montmagny d’avoir le bonheur de bénéficier de sa grande efficacité comme aide familiale. Cette aptitude qu’elle a développée à faire briller les maisons des autres, elle n’en fera pas moins chez elle et cela encore à ce jour. Audacieuse, elle accepte ensuite un poste de gouvernante chez les Clément à Québec qui passent l’été à l’Île d’Orléans près du Château Bel-Air, aujourd’hui La Goéliche, où ils prennent les repas ; quel bel environnement pour Laurette qui aime le beau et les enfants dont elle prend bien soin. Une perle rare dont ils devront se séparer avec grands regrets l’été suivant, un autre destin l’attendait…

Après un bref retour à la maison familiale, elle a pris le train pour Kénogami. Une cousine qui hébergeait des chambreurs travaillant à l’usine d’aluminium à Arvida avait besoin de personnel ; tel un scénario de film, le beau Donat Ouellet au look d’acteur de cinéma y travaillait, comme bien d’autres jeunes hommes de la région, le travail se faisant plus rare pendant la période hivernale sur les fermes. Sur le trajet du retour, Donat, étincelles dans les yeux, demanda à la douce et irrésistible Laurette la permission de la fréquenter. C’est ainsi que nos deux tourtereaux feront faux bond à leurs prétendants et s’uniront le 4 juillet 1945 pour bâtir leur p’tit bonheur.

Comme sa mère, Laurette débute sa vie de jeune mariée dans la maison des beaux-parents qui comptent déjà une fratrie importante, situation délicate à laquelle elle saura s’acclimater. Après une fausse couche qui donna des sueurs froides au médecin et fit quérir le prêtre, elle y aura son premier enfant en 1948. Un deuxième en route quelques mois plus tard sera une bonne raison pour emménager dans leur propre maison et en faire un nid douillet pour la marmaille à venir. En douze ans, elle donnera vie à dix enfants, 7 garçons et 3 filles, dont des triplets en 1960 : tout un tour de force ! Et pas question de les donner… « le bon Dieu lui a permis de les mettre au monde, il lui donnera la force de s’en occuper… » disait-elle. Ce petit bout de femme énergique, déterminée et courageuse aura déjoué la prédiction de ce médecin qui avait laissé entendre en 1947 qu’elle ne serait probablement plus capable d’avoir d’enfants. Est-ce là qu’est née cette petite phrase devenue sa devise « J’suis capable ! » ou avec le défi que représentait d’accomplir quotidiennement toutes les tâches qui incombent à une mère de famille de dix enfants  ... De plus, elle a participé à la vie communautaire en étant membre des femmes chrétiennes, fermières et filles d’Isabelle. À 50 ans, elle doit se débrouiller seule avec quatre adolescents encore à la maison quand son mari est hospitalisé quelques mois à Québec pour une maladie pulmonaire.

 
À 65 ans, quand Donat prend sa retraite, ils prennent un peu de bon temps et font quelques voyages avec la parenté ou des amis tout en demeurant très présents, accueillants et très actifs. Elle reçoit une première prothèse à un genou à 75 ans et une deuxième à 85 ans ; elle s’en remet de façon admirable grâce à la persévérance qu’elle met à effectuer les exercices recommandés. À 90 ans, elle veut sa tablette électronique pour répondre à sa curiosité et sa soif d’apprendre, une autre façon de garder contact et suivre les péripéties de sa prodigieuse descendance : 10 enfants, 21 petits-enfants, 29 arrières-petits-enfants et un 30e en route sans compter tous les conjoints, conjointes de tout ce beau monde. En 2015, le décès de Donat, après 70 ans de mariage, la place devant un nouveau défi : continuer de vivre seule et autonome dans sa maison. Avec l’aide de son fils Gilles, voisin, et quelques anges gardiens bienveillants, elle y arrive ; elle s’assure de bouger, marcher, elle s’adonne à la lecture et un peu de tricot, elle fait même encore son pain et quelques recettes par-ci par-là. Et depuis, malgré cette pandémie, elle garde son beau sourire chaleureux.

Cent ans de souvenirs heureux et douloureux, d’épreuves et de défis ; cent ans comme témoin actif de l’évolution des diverses technologies, mais aussi des mentalités concernant l’éducation et la vie familiale. On aura beau dire qu’il y a de plus en plus de centenaires, c’est quand même tout un exploit d’avoir vécu et traversé cent ans d’histoire tout en gardant son cœur aussi jeune avec une allure fière et élégante comme Laurette. On dit que c’est un privilège de vieillir car tous n’ont pas cette chance… c’est vrai ! N’empêche qu’elle a su profiter à 100 % de ce privilège et ce n’est pas parce qu’elle s’est ménagée, ça non ! Elle n’est pas « arrêtable » et quand certains jours elle éprouve certaines difficultés à faire obéir son corps, elle dit « y’a du vieux là-dedans ! ». Nous on comprend qu’il y a du vécu, de la résilience et beaucoup, beaucoup de travail. Quelle machine peut se vanter de durer cent ans quand presque tout devient obsolète après dix ans ?

Maman, les nombreuses habiletés que tu as su développer, ta force, ton énergie, ta générosité, ta capacité d’adaptation, ton dévouement, ton accueil chaleureux, ton écoute réconfortante, ton ouverture d’esprit forcent notre admiration et sont pour nous une grande source d’inspiration. Comme beaucoup de femmes dans l’ombre qui ont consacré leur vie avec brio à leur famille, tu as contribué à façonner l’histoire du Québec et marqué nos vies pour notre plus grand bien.

Mille fois merci maman, félicitations pour cette vie bien remplie et santé !



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