Au début du 20^e s., les routes n’étaient pas déneigées en hiver. Les carrioles et les berlots¹ étaient les seuls moyens de transport.

À Saint-Jean-Port-Joli le soir du 28 février 1925, Hector conduit « le bon Dieu » au chevet de monsieur Fournier, un voisin. Le beau cheval trotte allègrement sur la route enneigée. Soudain, ses pattes avant plient littéralement comme si la bête tentait de s’agenouiller. Inquiet, le jeune homme questionne le bon curé assis confortablement sur le siège arrière, la peau de carriole² et le Bon Dieu sur les genoux.

– Pas de panique, mon fils, dit le saint homme. Ton bon cheval a manifesté du respect pour le saint Viatique³ que nous portons à un mourant.

Dans la maison de monsieur Fournier, c’est la panique. Hector, monsieur le curé et le Bon Dieu détectent une odeur infecte, une lampe à l’huile est renversée, la croix noire est tombée du mur et les gens sont affolés.

Puis, une deuxième secousse fait trembler la maison ancestrale.

- C’est un tremblement de terre, dit monsieur le curé qui a « fait ses lettres » ⁴.

Alors, monsieur Fournier a continué de mourir paisiblement, on a raccroché la croix noire et on a nettoyé le poêle au-dessus duquel on avait placé du savon à sécher sur des tablettes. D’où les relents acres de résine et de caustique.

Le cheval qui plie les pattes
Extrait du marquoir de Saint-Jean-Port-Joli, une création de Louise Chouinard. Il est exposé au Vivoir de Saint-Jean-Port-Joli.

(Note : L’épicentre de ce tremblement de terre de magnitude 6,7 était situé à 10 kilomètres sous le fleuve Saint-Laurent près de l’Ile-aux-Lièvres. Nous savons depuis que les animaux ressentent à l’avance les secousses sismiques.)

1- Carriole, berlot : voitures tirées par un cheval

2- Peau de carriole : Couverture de fourrure doublée de tissu de laine pour se garder au chaud dans les voitures hippomobiles.

3- Saint Viatique : expression parfois donnée aux saintes huiles apportées à un mourant.

4- Faire ses lettres : faire des études classiques

Louise Chouinard, fille d’Hector