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L’émigration aux États-Unis - Septembre 2020 - (suite)
par Journal L'Attisée le 2020-09-17


Le grand exode (1840-1930)


L’exode massif de Canadiens français vers les États-Unis entre 1840 et 1930 constitue l’un des évènements démographiques majeurs au pays. Ce pan de notre histoire collective a pratiquement été oublié de nos jours; seules quelques personnes se souviennent encore de la parenté des États qui venait les visiter alors que l’émigration avait depuis longtemps cessé. On estime que plus de 900 000 personnes1 ont pris le chemin des États-Unis au cours de cette période alors que le Québec comptait une population d’à peine 1 648 898 personnes en 1900 . Le recensement américain de 19002 nous indique que 440 000 Canadiens français vivaient aux États-Unis en 19003. L’exode hors de notre région a été assez marginal au début de cette période; il s’est accéléré avec l’arrivée du chemin de fer en 1859 mais encore plus avec la Confédération en 1867.


Mais quels sont les facteurs qui peuvent expliquer un exode aussi important? Pour bien les comprendre, il faut remonter à quelques décennies. Entre 1784 et 1844, la population du Québec s’est accrue de 400% alors que sa superficie cultivable n’a augmenté que de 275%. Cet écart vital a créé un déficit important de fermes pour nourrir la population. Les terres ont été morcelées à outrance dans les zones fertiles et les nouvelles concessions n’offraient pas le potentiel agricole souhaité. Le Québec, tout comme le Canada, étaient des sociétés agraires; elles comptaient peu d’industries capables d’offrir du travail à des agriculteurs. Acculés à la pauvreté, les cultivateurs peinaient à subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles nombreuses. Pendant ce temps, les États-Unis s’industrialisaient et allaient devenir la nation la plus prospère au monde. Le pays apparaissait comme un Eldorado et les immigrants s’y ruaient en espérant faire fortune, ou tout au moins, se sortir de la misère4. Si l’émigration était un choix pour certains, elle était une nécessité pour la plupart des Canadiens français en région rurale. En ces temps-là, aucun visa, permis de travail ou passeport n’était nécessaire pour traverser la frontière5. Les Canadiens français étaient profondément attachés à leurs racines et il y avait des freins à considérer : la langue, la religion, un milieu familier, des parents et des amis que l’on laissait derrière.


Pendant la seconde moitié du dix-neuvième siècle, de nouvelles régions s’ouvraient à la colonisation : les Laurentides, le Saguenay-Lac Saint-Jean, le Bas Saint-Laurent, la vallée de la Matapédia, le nord-est ontarien, les provinces de l’Ouest et certaines terres de la couronne comme cela fut le cas dans notre région. Plusieurs cultivateurs s’y installaient mais les ressources n’étaient pas suffisantes pour y vivre; il fallait des revenus d’appoint. L’exploitation forestière offrait certaines possibilités mais elles étaient, pour la plupart, aux mains de grands entrepreneurs qui dictaient leurs conditions6. La plupart des colons y vivaient maigrement et avaient souvent besoin d’autres choses. Dans les paroisses de colonisation de notre région, il n’était pas rare que deux ou trois familles s’entassent dans une cabane et qu’elles soient frappées par un fort taux de mortalité infantile7. Il y avait bien entendu la possibilité d’emprunter de l’argent mais les taux étaient prohibitifs et ce n’était pas une solution viable. L’émigration saisonnière, temporaire ou permanente offrait l’espoir de gagner un peu d’argent pour améliorer leur sort8.

À partir de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, le Canada a commencé à s’industrialiser mais à un rythme beaucoup plus lent que les États-Unis. Ces nouvelles entreprises étaient souvent orientées vers les ressources naturelles. Les salaires étaient plus bas et les marchés plus limités. Les États-Unis demeuraient plus attrayants et la Nouvelle-Angleterre n’était pas si loin à bien y penser.


La plupart des émigrants provenaient de régions rurales et ils se sont installés dans des ghettos, dit Petits Canada, de villes industrielles de la Nouvelle-Angleterre telles : Hartford et la vallée de la rivière Putnam au Connecticut; Fall River, Lawrence, Lowell, New Bedford, Salem et Worcester au Massachusetts; Augusta, Biddeford, Lewiston et Brunswick au Maine; Dover, Keesville, Manchester, Nashua et Suncook au New Hampshire; Albany et sa région dans l’état de New York; Pawtucket, Providence et Woonsocket au Rhode Island; et encore bien d’autres de moindre importance. Du côté du Midwest, c’est surtout l’agriculture qui a attiré les premiers migrants Canadiens français; ils se sont principalement installés en Illinois (comté de Kankakee), au Michigan (Détroit et péninsule du haut Michigan), au Minnesota (vallée de la rivière Rouge) et au Wisconsin (comté de Douglas et région de Green Bay). Certains ont poussé leur chance plus loin en allant à St-Ignatius et Frenchtown au Montana, dans la vallée de la rivière Rouge au Dakota du Nord, dans les plaines du Kansas et dans la région de Cœur d’Alène en Idaho. Il y a eu quelques Petits Canada dans les villes industrielles du Midwest (surtout Chicago et Minneapolis) mais dans une mesure beaucoup moins grande qu’en Nouvelle-Angleterre. Plusieurs prêtres sont aussi partis pour les États-Unis afin de préserver la foi et la culture de leurs compatriotes. Ils ont fait ériger des églises et des écoles et fondé des associations où l’on pouvait continuer de vivre en français. Des médecins, des marchands et autres gens de profession ont suivi en espérant que toute cette manne de Canadiens français les préfère dans leurs services9.


L’arrivée du chemin de fer a stimulé l’émigration dans l’est de l’Amérique du Nord au fur et à mesure que les rails ont été déployés. Alors qu’un voyage par charrette était long et périlleux dans les années 1840; il est devenu une question de quelques dollars et de quelques heures dans les années 1880. Le train a aussi modifié les lieux d’émigration. Durant les années 1840 à 1860, les émigrants choisissaient le nord de l’État de New York, le Vermont, le New Hampshire et le Maine. Ils étaient cultivateurs, bûcherons et travailleurs dans des usines préindustrielles comme les « bricades » au Vermont. Entre 1870 et 1880 à mesure que l’industrialisation progresse, les Canadiens français se dirigent de plus en plus vers les villes du textile du Massachusetts, du Rhode Island et dans une moindre mesure vers le Connecticut10.


Suite le mois prochain.


Notes (Le grand exode 1840-1930)

  1. Damien-Claude Bélanger, French Canadian Emigration to the United States 1840-1930, département d’histoire, université de Montréal, 23 août 2000, informations tirées du site Internet: www2.marianopolis.edu/quebechistory/:frncdns. 
  2. Institut de la statistique Québec, Population, Québec et Canada, 1851-2019, informations tirées du site Internet : www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/population-demographie/structure/102.htm le 31 octobre 2019. 
  3. Migration Policy Institute, Canadian Immigrants in the United States, informations tirées du site Internet : www.migrationpolicy.org/article/canadian-immigrants-united-states le 11 décembre 2019. 
  4. Damien-Claude Bélanger, op. cit. 
  5. Yves Hébert, Partir pour les États-Unis? Voilà la question, Le Placoteux, 2 septembre 2018, informations tirées du site Internet: www.leplacoteux.com/partir-etats-unis-voila-question. 
  6. Ces entrepreneurs, ou barons, comme certains osent les appeler contrôlaient souvent tout comme le magasin général. Ils étaient souvent les seuls employeurs d’une région. Tout cela créait une relation malsaine des colons envers les barons forestiers. 
  7. Clovis Roy (premier curé résident), Notes aux prônes de la Fabrique de Saint-Aubert, 1860. Des affirmations similaires sont faites pour Sainte-Louise et Sainte-Perpétue. 
  8. Damien-Claude Bélanger, op. cit. 
  9. Leslie Choquette, French Canadian Immigration to Vermont and New England (1840-1930), Marianopolis College, 23 août 2000, informations tirées du site Internet : www.watchwise.net/cgi-watchwise/monitor.cgi?http://www2.marianopolis.edu/quebechistory/:frncdns" width=1 height=1> le 1 novembre 2019. 
  10. Damien-Claude Bélanger, op. cit..



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