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L’extraordinaire homme-vélo
par Journal L'Attisée le 2020-07-04


Maurice Bernier a livré une lutte sans merci contre une maladie incurable. Le récit de son histoire nous communique une part de sa volonté de vaincre, de vivre la vie dans sa fatalité.


Qui est Maurice? C’est un p’tit Omer Bernier me répond-on avec le parler de chez nous. En d’ça du pont Francœur. Sa mère, une p’tite Rémi Chouinard. Nous voilà en terrain bien connu à Saint-Aubert.

Maurice Bernier


Ce 11e enfant d’une belle famille de 15 n’a pas été un athlète à la une des médias mais il est un as sur deux roues à l’ombre des honneurs. Les témoignages reçus de ceux qui ont suivi son cheminement discret sont incroyables. Notre région se doit de valoriser l’exploit de son combat à cette heure qui prône la santé par l’exercice physique et qui sonne ses grosses cloches pour solliciter davantage une sympathie aidante envers les personnes vulnérables.


Dans sa ruche d’amour, maman Irène est la reine. Elle donne tout à sa famille. Tout. Même sa vie… Le petit orphelin prend le chemin de l’école primaire comme les autres. La fin du secondaire lui signale la sortie de son alvéole nourricière pour s’éloigner de l’essaim afin de suivre sa propre route, comme les autres. Son Saint-Aubert est bien petit. Son pays, si grand. Le monde sans frontières pique déjà la curieuse audace du jeunet et l’invite. Pour l’adulte devenu, l’ouvrage d’abord, comme les autres. Les voyages suivront.


Comme les autres, il travaille jusqu’à ce qu’un inconfort de ses membres angoisse dangereusement sa demi-vie. Le diagnostic d’une maladie dégénérative (myopathie à corps d’inclusion) de son système musculaire taxée de l’impossible recours à une cure d’espoir prend l’aspect amer d’un citron. Homme d’une volonté sans pareille devant un ennemi indomptable, notre quadragénaire ne croule pas dans un désespoir fatal mais choisit de s’en faire une limonade acceptable en prononçant son propre verdict :

v o y a g e. Il saute sur sa bicyclette : bon stimulateur pour ses jambes paresseuses, peu de frais et vue du monde à plein écran. Sacoches de camping bien accrochées, seul, il part : le tour de la Gaspésie, comme les autres. Il y découvre « la pilule ». Son pédalier s’emballe et le pousse incroyablement vers l’Ouest canadien, la Californie, la Floride, les Antilles, la France, l’Espagne, la Côte-Nord, Terre-Neuve et les Maritimes. Et ce n’est qu’un départ. Plus d’un ne croira qu’une personne dans son état puisse réaliser une suite à cette histoire, mais toute la vérité est notée dans ses carnets intimes. Il décide ensuite de se rendre en automobile jusqu’en Alaska avec l’intention de revenir en vélo. Ce qu’il ignore c’est que son tacot n’en peut plus et rend l’âme au nord de la Colombie canadienne. Fera-t-il comme les autres? Abandonner? Non, sa bécane a suivi. Hop! Vers le Nord.


Revenu à Vancouver, il retourne à la maison en autobus et prudemment, il s’équipera d’un vélo plus performant en vue d’un autre long circuit : Baie-James, Abitibi, Ontario, Manitoba, Saskatchewan et, ma foi, cet homme-là, il vole! Non, un vol… La méchanceté d’escrocs sans âme lui ravit sa bouée de sauvetage, c’est-à-dire tout. Loin des siens, cette fois, comme les autres, il se croit fini. Son malheur ayant été diffusé par les médias, sa famille et de généreuses chaînes de magasins le réapprovisionnent : bicyclette, vêtements, bagages, argent. Quelle piqûre miraculeuse pour repartir vers l’Ouest américain et le Mexique! Passer l’hiver à la chaleur, c’est une bonne idée n’est-ce-pas?


Autre direction : Compostelle. Il marche le long chemin en s’appuyant sur son fidèle vélo. Plus tard, il se dirige au Panama, ses hautes montagnes et sa chaleur. Puis les îles de la Madeleine lui indiqueront une escale. Ce sera sa dernière grande tournée. Après 2 tours de terre bien comptés, la lutte est devenue inégale. Mieux vaut revoir sa paroisse natale, l’explorer et goûter sa tranquillité. Les années de la soixantaine s’avèrent plus difficiles pour l’homme qui défend son autonomie en refusant d’imposer sa souffrance aux siens. Péniblement, Maurice se fait homme à tout faire dans son loyer. Adieu bicyclette, il s’évade toujours mais en auto. Ce qu’on ne veut pas qu’il lui arrive… arrive : cancer. Placé en résidence après une opération, il défie l’opinion et les conseils des médecins et revient chez lui. Adieu auto, un fauteuil roulant est désormais son moyen de parcourir toutes les routes de la région. Qui ne l’a pas aperçu là, et là, et ailleurs, et plus loin…


Plus le temps passe, plus la route raccourcit. Après deux décennies de résistance extrême, son état réclame des soins particuliers dans une maison spécialisée. Il ne lui reste que l’énergie de l’esprit pour dire : « Ma maladie a eu au moins un bon côté en faisant de mes rêves une réalité ». La sentence d’un certain Alexander Lockhart lui va comme un gant : « L’attitude est le pinceau de l’esprit ; elle colore toutes les situations ».


Le dernier tour de roue termine sa fabuleuse randonnée le 25 septembre 2018. Non, Maurice n’était pas comme les autres.




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