Menu principal

Je Sème à Tous Mots - i
par Journal L'Attisée le 2020-06-10

2. i …

Des vingt consonnes et six voyelles qui peuplent notre alphabet, aucun membre autant que le neuvième dans la hiérarchie, i, non satisfait de n’être qu’une simple lettre, pousse ses prétentions à devenir mot.


À l’exception de a que l’on consomme avec ou sans accent et y qui situe ce dernier là où on le désire ou nous oriente vers ceci ou cela, aucune lettre ne forme un mot en soi. Reconnaissons toutefois que c, d, j, l, m, n, s, et t, se soumettant ordinairement à leur rôle d’humbles caractères, s’autorisent parfois le rang de mots, lorsque et seulement lorsque, en mal d’accommodements, on les apostrophe.


Comme un virus, tout le monde s’affuble un jour de son usage, dès les plus tendres vocalises de son plus jeune âge, ne s’en guérissant qu’au prix d’un langage qu’il aura châtié, voire même perlé, sinon en en supportant un abus intergénérationnel. Bienheureux celui qui, croyant affiner son langage, évoquera dans un élan : « i est très content » plutôt qu’un sempiternel « yé très content! »


Mais, songerez-vous, que dire et que penser de cette voyelle des plus fréquentées qui dit tout sans rien dire ou identifie tout et tous sans distinguer quelqu’un ou quelque chose, qui a acquis ses titres de noblesse au fil d’années d’un mauvais usage aux dépens du pronom il perdant une partie des siens?


À la différence de la langue anglaise qui le compte comme membre à part entière de son lexique, notre langue n’a pas cru bon intégrer le i en tant que mot dans ses dictionnaires. Rares sont les lettres qui, individuellement, s’attribuent le rang, le rôle ou l’état de mot. Très prolifique, i se décline en versions multiples.


L’étude du français à l’école de mes jeunes années laissait une grande place à la laborieuse analyse grammaticale des mots d’une phrase, ouvrant parfois grande la porte à notre aversion envers elle. Quel trouble-fête i aurait-il été! Nom commun autant que nom propre ou pronom, nom collectif à ses heures remplaçant selon son bon plaisir le masculin singulier ou pluriel, le masculin et le féminin réunis ; de quoi faire éclater la loupe et la patience de l’analyseur!


Parlant des personnes au masculin, on reconnaitra sans doute que i leur fait honneur en les identifiant toutes, seules ou en groupe. Nous en connaissons plusieurs tout en en ignorant une multitude bien plus importante. Ce sera tantôt un frère, en enfant, un ami, un voisin, tout étranger ou plusieurs d’entre eux à la fois. Ce seront aussi les membres d’un groupe pouvant réunir des femmes, des hommes et des enfants : i sont tous affectés par cet évènement. I, voyelle devenant nom et par extension pronom masculin, singulier et pluriel selon le contexte et incluant depuis la nuit des temps le féminin pluriel alors que son féminin singulier devient a : a peut toutefois pas vous dire depuis quand…


Pendant que le a conserve l’exclusivité de son sexe, i, tel que mentionné précédemment, se décline aux deux genres et aux deux nombres reconnus par la grammaire autant traditionnelle que moderne, statut prévalant depuis le XVIIe siècle qui veut que le masculin l’emporte toujours sur le féminin et impose que a cède souvent un droit d’ainesse à ladite voyelle-nom malgré l’égalité hommes-femmes.


I s’installe dans le doute, la crainte, l’inquiétude, les suppositions, les interrogations ou les affirmations : Qu’est-ce qu’i vont dire, qu’est-ce qu’i vont faire, qu’est-ce qu’i vont penser , etc. Ou encore i vont ben penser, i vont ben dire, i vont ben faire ou i vont ben croire etc., I pourrais-tu… I s’pourrait ben qu’i viennent pas, qu’i arrivent plus tard… I m’ont dit que c’est arrivé comme ça…


Qu’interpréter également de tous ces i inconnus, sages, conseillers ou prophètes qui proposent commentaires, avertissements, conseils et parfois même, rumeurs : i disent qu’i faut faire attention, ou bien i savent pas, ou i peuvent pas le garantir, ou i ont entendu dire, ou i ont vu ça à quelque part, ou, ou, re-ou et re-i…?


De plus, ne le voit-on pas se mêler de décrire le temps et la température  I, c’est alors l’agent du climat : i fait beau ou i fait mauvais quand ce n’est pas i fait frette, i neige, i vente, i pleut, i neige encore, i tonne, i éclaire, i fait noir, i fait sombre ou i fait clair ; et j’oubliais, i neige une fois de plus!!!


En conclusion, peut-être pourrions-nous affirmer que les québécois, i sont économes de lettres, i parlent à pronoms raccourcis avec le risque de voir celui qu’ils évoquent se tordre d’impatience devant l’amputation de la moitié ou des deux tiers de son orthographe. Peut-être pourrions-nous soutenir pareillement que i est une lettre ayant, selon le cas, bien ou mal tourné. Je laisse à l’appréciation du lecteur la possibilité d’y songer.


Terminons sur une note québécoisement plus d’actualité : i parait que nos dirigeants, i savent pas quand la pandémie va s’arrêter ; i faut juste respecter les consignes et ça va bien aller!


Serge Picard



Mots-Clefs

Serge  Picard  sème  mots  tous  i  
Espace publicitaire