Toussaint et Frères Ltée

Léon et Jean-Baptiste Toussaint, fils d'Odilon Toussaint, ont créé Toussaint et Frères limitée. Le fils de Léon, Jean-Guy, raconte l'histoire de cette usine qui a fabriqué des meubles de 1938 à 1976.

Il allait de soi que Jean-Baptiste et Léon mettent sur pied une entreprise de fabrication de meubles. Ayant vu leur grand-père maternel, Magloire Bourgault, fabriquer des meubles sur mesure, Jean-Baptiste et Léon avaient déjà perpétué la tradition en fabriquant des tables sur demande. Au début de 1938, les deux frères ont alors conclu de faire équipe pour mettre sur pied une usine élargie de fabrication de meubles sur demande à Saint-Jean-Port-Joli.

En 1972, la revue Décormag citait : « Il était une fois un minuscule atelier qu’un modeste artisan mit au monde dans son garage. Quand l’atelier fut prêt, il l’a transformé en une belle et grosse entreprise de meubles qui coula une existence riche et heureuse… »

Les deux frères font alors l’acquisition d’un vaste terrain en bordure de la route 132, à proximité Est de l’Auberge du Faubourg, et y construisent une grande bâtisse en bois. « L’industrie du meuble au pays trouve ses origines au moment de la fondation de la colonie, puisque les premiers arrivants fabriquaient déjà des meubles simples et utiles. Plus tard, les charpentiers se sont mis à fabriquer des meubles pour les clients. (source AFMQ). »

Après la guerre, ce fut le boom  ; le baby-boom, le bungalow boom et la « furniture boom». L’effervescence d’après-guerre fut bénéfique pour l’industrie… » Avant-gardistes, les deux frères allaient profiter de ce moment pour mettre en place les infrastructures nécessaires à la fabrication à grande échelle dès 1938. Sous la gouverne du ministère de l'industrie et du Commerce, l'Association des fabricants de meubles du Québec (AFMQ) avait été créée en 1942. L'entreprise Toussaint et Frères allait bénéficier des avantages de cette association autant en matière de marketing, de conseils juridiques, de relations de travail...

Début de l’entreprise

Des débuts modestes en 1938, Toussaint et Frères allait passer de simple atelier à une entreprise prospère. Source importante d'emploi pour la communauté, elle embauchera jusqu'à 80 travailleurs. Au début, Jean-Baptiste fait le design et Léon s'occupe de la production et de l’administration. De la fabrication de meubles sur demande, l’industrie s’oriente alors vers des meubles contemporains pour chambres à coucher et meubles d’appoint.

Au cours de l’année, un feu dans l’atelier de peinture allait détruire l’entité des bâtiments et des machines. Les Toussaint ne sont pas des hommes à se laisser abattre. Il fallait tout recommencer et la capacité fut doublée en un bâtiment de 25 000 pi², lequel fut aménagé en blocs de ciment. Toutes les machines sont alimentées par mode électrique 550 Volts.

L’entreprise s’inspire principalement du design de meubles américains dont les modèles sont convertis en mode dessins et en détails de fabrication. Il existe deux autres entreprises en région, Entreprise Caron de La Pocatière pour la production de meubles commerciaux et l’entreprise Colin de Montmagny.

L’AFMQ est l’élément moteur pour les rencontres des fabricants et les échanges divers de procédés et autres, les tendances du marché, etc.

Les étapes de fabrication sont nombreuses allant du débitage du bois brut à l’équarrissage, le laminage, l’assemblage, le laquage, la finition, le contrôle de la qualité, et ceci avec des outils modernes et efficaces. Les machines-ateliers sont de production américaine et le maître-mécanicien Fénélon Laurendeau est un talentueux homme-clé pour l’entretien de ces machines complexes.

Au Québec, au plus fort des années 1960, l’on compte plus de 400 entreprises qui emploient quelque 9 000 personnes. La compétition est forte et les créneaux sont de styles variés; colonial, provincial français, early américan, contemporain, espagnol, italien, chrome, plastique, métal, etc… Pour évoluer, il faut innover et l’entreprise Toussaint et Frères est de celle-là. Elle est la première à importer et appliquer au Québec un mode de veinage du bois par procédé de transfert photographique et copiage sur rouleaux de cuivre. C’était un procédé unique et avant-gardiste obtenu d’un fournisseur de peinture américain et appliqué dans la production. Un produit catalyseur de peinture fut introduit en première, rendant ainsi les meubles Toussaint, ultra-résistants aux égratignures.

En août 1970, une grande exposition attire plus de 200 exposants et 700 acheteurs. Par la suite, en 1972, la ville de Toronto met sur pied un salon du meuble et sera imité par Montréal peu de temps après. Toussaint et Frères allait profiter de ces fenêtres de mise en marché où un trophée du meilleur meuble est remis à des entreprises. Toussaint et Frères fait aussi la promotion de ses meubles par le biais d'expositions à Toronto, Montréal et en province; ses produits sont également bien présentés dans un catalogue de publicité.

L’industrie du meuble est particulièrement complexe à cause de l’évolution changeante du produit, de la demande et de la compétition nationale et mondiale. De même importance que la planification de la production, ainsi en est-il du marketing, du design, du financement, du transport, de la livraison, des rapports avec les détaillants, des relations de travail…

Bien que les salaires des employés soient au-dessus de la moyenne régionale, en 1966 l'entreprise a dû faire face à la syndicalisation des employés et par la suite, à deux grèves de courte durée. La pointe de production fut atteinte au cours des années 1968-1969 alors que le chiffre d'affaires atteint quelques 500 K$. L’incorporation de l’entreprise en 1968 permit une injection souhaitable de capital par la vente d’actions, en grande partie au plan régional.

À la suite d'une maladie, Léon quitta l’entreprise et décéda peu après à l’âge de 62 ans. Jean-Guy et Jacques furent appelés à prendre en charge les opérations en 1972, Jacques devenant président et Jean-Guy, directeur de la production.

Déclin du marché

Au cours des années 1975-1980, les taux d’intérêt ont grimpé en flèche et il fallait financer les stocks de la matière première et les meubles aux détaillants jusqu’à la vente. Des produits internationaux, asiatiques et américains et du prêt à monter tel IKÉA allaient grandement affecter la rentabilité de plusieurs entreprises du meuble.

Selon Jean-Guy, les gouvernements sont particulièrement avares au soutien et à fournir des subventions aux entreprises québécoises, alors que celles-ci doivent faire face à la réalité grandissante de la compétition.

Au fil du temps, Toussaint et Frères et beaucoup d’autres ont dû mettre fin à leur entreprise en 1976, après 38 ans d’opération. Ce fut un choix difficile et malheureux pour la communauté de Saint Jean-Port-Joli et des environs. L’entreprise fut vendue au groupe Laflamme, laquelle allait cesser la production peu de temps après.

Rédaction ; Jean-Guy Toussaint/Conrad Bourgault