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Marc-Arthur Deschênes
par Journal L'Attisée le 2017-06-01

« Homme d’un seul univers, fait de forêt et de prés, de sève et de fiers chevaux, de vive rivière et de riche humanité. Rassembleur, il a semé, ratissé et arrimé sa société. Il a eu grande foi en son amour, sa passion des “petites choses” et sa perpétuelle maisonnée. »


Une chanson de Félix Leclerc, « Les nouveau-nés » commence ainsi :

« Le vieux écoutait le tapage
Que faisait la cloche du village
On lui dit que c’était pour fêter
L’arrivée de l’enfant nouveau-né »

Mais pour Marc-Arthur, le 14 avril 1927, un Jeudi saint, il n’y avait pas eu de cloches à son baptême, elles étaient parties pour Rome. C’est la maîtresse de l’école et les voisins qui ont sonné cloches et clochettes au passage de la voiture d’Albert.

Ding-ding-dong

Le nouveau bébé de Marie sera le dernier des garçons de la famille. Ses frères l’ont vite appelé Ti-Marc, il suit d’un an à peine son frère Ti-Luc, ils seront toujours amis et complices.

Très studieux, debout avant tout le monde, il révisait ses leçons à la lueur de son petit fanal, puis donnait un coup de main à la traite avant de prendre le chemin de l’école, souvent pieds nus dès le printemps arrivé.

Après seulement quelques années de scolarité, il est devenu évident qu’il prendrait la relève de la ferme et il a dû délaisser le chemin de l’école pour les travaux des champs et la forêt.
Très jeune, il tenait les manchons de la charrue derrière le bœuf ou le cheval. Puis, l’automne venu, il partait des semaines de temps pour bûcher ou faire les sucres avec ses frères ou avec des voisins dont il partageait le camp.

Ses frères comptaient sur lui pour atteler le cheval lorsqu’ils allaient veiller. Ils ne voulaient pas se salir avant d’arriver chez leur blonde. Comme il connaissait bien les chevaux, il est arrivé qu’il choisisse le cheval selon le tempérament du conducteur.

Jusqu’à ce que ce soit son tour de prendre les travaux de la ferme. Presque en même temps, il a attelé son cheval pour rendre visite à une belle voisine qui cherchait un prétendant amoureux de son métier, de la terre et de ses mystères. Pour Louise, c’était le bon candidat, elle a accepté de l’épouser et elle est alors arrivée dans la maison des Deschênes.

Dorénavant devenu fermier, il portera dès le lever, son regard à la rivière et aux nuages pour deviner le temps qu’il fera. Sentir le vent, le vent du sud qui fait tomber les arbres dans l’érablière, le vent de nordet qui condamne la porte du nord et, selon son dire, qu’on ouvre que pour les morts, et le bon vent d’été qui fait sécher le foin. Suivre les saisons, jamais trop tôt ni trop tard. Le respect de la nature et de ses symbioses jusqu’à en faire partie.

Des soirées et des soirées d’absence, après de longues journées de labeur, pour assister à des réunions de coopératives et de multiples associations, même l’Ordre de Jacques-Cartier. Coopération, un mot auquel il a donné tout son sens. Il sentait l’importance de nous occuper de nos affaires, de faire valoir nos capacités, de nous organiser en tant que petite société rurale pour prendre notre place dans le Québec et dans le monde. Petit à petit, nous avons connu des brides seulement de toutes ses actions et les interventions qu’il a pu faire pour nous doter de politiques équitables et de structures qui desservent toujours l’ensemble de la municipalité et qui rayonnent dans tout le Québec.

Sa curiosité, son goût de rencontrer des gens. Accueillante, sa porte toujours ouverte. La couleur des cheveux ou de la peau n’avait aucune importance, il cherchait à connaître les façons de faire, de vivre ailleurs. Il y avait presque toujours quelqu’un qui logeait à la maison. Des jeunes, cousin, cousine ou étranger rencontrés au village ou pris sur le pouce. On leur trouvait une place pour dormir et une place à table. Plusieurs d’entre eux sont restés des amis de la famille après plus de 40 ans, de Suisse, de France ou de Montréal.

L’œil et le propos un peu taquin, il lisait au fond de nous. Il savait repérer les qualités et les possibilités. Et puis comment dire non quand il nous disait que ça lui donnerait un bon coup de main si nous accomplissions telle ou telle petite tâche? Il nous a appris les gestes du quotidien et le rituel qui en assurait la qualité.

Planter, semer, sarcler, choisir et donner la place aux meilleurs légumes, aux animaux de la ferme. Défaire les nœuds dans la corde, nouer le sac de grain, tresser les cordes pour attacher les veaux du printemps, attacher une corde au fauteuil berçant pour que Louise puisse faire peur aux étourneaux qui tentaient de s’attaquer aux mangeoires, donner de la solidité à la boîte, ses fameuses petites boîtes pour le sucre ou pour les légumes à envoyer à Katéri.

Concilier, accommoder les voisins, les parents, le monde. Il l’a fait à divers titres, inspecteur agraire, conseiller municipal ou maire.

Relacer les raquettes, raccommoder les attelages, son corps, son cœur, puis reprendre le collier. Refaire un manche au marteau, faire des compotes de pommes pendant les parties de hockey, puis les fameux petits cornets d’écorce, ce que nous en avons fait, nous avons appris à surveiller les cordes de bois de chauffage pour retirer l’écorce de bouleau, et ensuite trouver et cueillir les épines.
« La production », si on peut le dire ainsi, a commencé en 1977, autour des fêtes du Tricentenaire de Saint-Jean-Port-Joli, nous en avons brassé du sucre sur la place de l’église et rempli des centaines de cornets. Tout était vendu dans la petite cabane bâtie par les garçons, et tous les revenus ont contribué au Fonds du Tricentenaire.
Ce type de collaboration, Port-Joli en aura retenu la façon de faire. Et, il y a moins d’un mois, il préparait toujours de l’écorce pour ses cornets.

Il y a quelques années, il a commencé à mettre des morceaux de bois de côté plutôt que de les envoyer dans la fournaise. Il les trouvait trop beaux. Il s’est mis à les « déligner » à la hache. Puis, il en a fait des palettes et des cuillères. Il se laissait inspirer par la courbe naturelle du bois. Et, comme pour nous, ses sept enfants, chaque création devenait unique, selon sa nature et son essence. Tout cela, pendant que les potages ou les conserves de têtes de violon mijotaient sur son poêle de la cave.

Avant la mode, il a bien senti que la culture biologique et l’écologie n’étaient pas une alternative, mais une nécessité. Comme il était fier de voir des jeunes s’établir sur des coins de terre pour cultiver en accord avec la nature. Il aimait s’approvisionner chez eux et surtout parler de leur travail et de leur vision de l’avenir.

Il connaissait chaque partie de sa terre et de sa forêt. Les sources, les sables, les terres noires, les chemins, les plantes. Ce printemps, je lui ai dit que j’avais vu un superbe tilleul avec un tronc d’au moins 10 mètres bien dégagé, bien droit, tout près du chemin de traverse chez Émilien. Il m’a demandé exactement où, parce qu’il y en a un autre tout près, tout aussi beau. Même s’il n’a pas pu se rendre à cet endroit depuis des années, il se souvenait de chaque arbre.
Toujours pratique, à l’écoute de l’horloge de la nature qui lui donne l’heure juste et commande ses actions. Le temps de bûcher, le temps d’entailler, le temps des sucres, le temps des vêlages, le temps des têtes de violon, le temps des semences, le temps des fraises, des framboises, des bleuets, le temps des foins, le temps du blé d’Inde, des pommes, la récolte des patates, le temps des labours, le temps de faire boucherie et le temps des Fêtes, période de réjouissances enfin avec ses chants et ses soirées de parties de cartes.

Parfois en soirée, il nous invitait à chanter avec lui, les petits derniers dans ses bras, avec un cahier de la Bonne chanson. Il a aussi chanté à la chorale paroissiale lorsque le temps le lui permettait. Et encore dernièrement, il fredonnait de mémoire nombre de chansons de son grand-père Dubé.

Il a aimé la vie, les gens, sa précieuse famille, la terre tout comme sa terre, les arbres tout comme ses animaux. On pouvait retracer les époques de sa vie selon Pat, Black, Marquise, Prince ou Mitsou, nos chevaux bien aimés. La semaine dernière, il m’a dit qu’il s’ennuyait des vaches, il aurait même aimé avoir une génisse près de la maison, pour la flatter, une jersey.

Ces dernières années, il comptait, il avait plaisir à faire ses statistiques. Combien de milles marchés derrière les bœufs pour labourer, il disait qu’il a marché au moins un pèlerinage à Compostelle sur sa propre terre. Combien de milliers de siaux d’eau d’érable transportés à bout de bras ou le nombre de fois qu’il a attelé le cheval.

Fidèle toute sa vie durant à sa maison et une femme, à sa terre et une rivière, à sa sucrerie et une société, et enfin à sa prière.
Et puis, il disait merci, merci à tous ceux qui l’entouraient, merci à la vie, à Louise qui l’a si bien accompagné pendant 65 ans.

Et Félix Leclerc de terminer sa chanson :

« Les cloches sonnaient en folie
L’entrée d’un mioche en paradis »

Ding-ding-dong

Merci Papa
Merci Marc-Arthur.

Marie Deschênes



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