Georges Morneau, ferblantier-couvreur
par Journal L'Attisée le 2017-02-01
Georges Morneau, fils de Tobie et d’Anna Desrosiers, est né à Saint-Jean-Port-Joli, le 7 mars 1911 ; il est le douzième1 d’une famille de 14 enfants. Il s’initie très tôt au métier de ferblantier alors que son père exerce déjà le métier. Le 27 septembre 1920, son père fait l’acquisition de l’ancienne école des garçons à la jonction de la route 24 et du chemin du Roy2. Georges fréquente alors l’école jusqu’en septième année ; il était enjoué et aimait bien jouer des tours. La journée de sa confirmation, il se fait frapper et se retrouve avec une jambe fracturée. Il en conservera quelques légères séquelles, dont la jambe légèrement plus courte et une légère claudication. Au milieu des années 1930, il commence à fréquenter Adélia Laurendeau, fille d’Amédée Laurendeau et de Marie-Anne Parent. Amédée est menuisier et a ouvert un atelier dans l’ouest du village. Suite à son décès en 1939, ses fils Albert et Thaddée prennent la relève du commerce et l’entreprise prend alors le nom de Laurendeau & Frères.3 Le mariage de Georges et Adélia est célébré en l’église de Saint-Jean-Port-Joli le 7 mai 1938. Entre-temps, Georges fait l’acquisition de la boutique de son père Tobie et continue à œuvrer dans la ferblanterie.4 Son père et sa famille habitent dans une maison en face de la croix de tempérance sur la route 132 Ouest.5
Maison-boutique de Georges Morneau au début de sa carrière à Saint-Jean-Port-Joli
Tout juste un an après le mariage de Georges, la guerre éclate en Europe et le Canada se porte immédiatement à la défense de l’Empire britannique. L’industrie de la guerre crée une grande demande pour les armements et beaucoup d’autres biens ; les hommes qualifiés sont très en demande et c’est ainsi que Georges décide d’aller travailler au petit chantier de la Davie Ship Building6 à Lauzon. L’entreprise dispose de beaucoup de moyens et d’équipements modernes ; c’est une occasion idéale pour parfaire ses connaissances et développer de nouvelles techniques. Après environ sept années passées à Lauzon, Georges a acquis beaucoup d’expérience et il décide de revenir auprès des siens qui étaient restés dans la paroisse. Pendant ces années, trois de ses filles sont nées. Il aurait bien aimé avoir des garçons pour l’aider, mais l’amour de ses filles le comblait énormément.
Vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, Georges ouvre sa propre boutique de ferblanterie au rez-de-chaussée de sa maison. L’espace est restreint et quelques années plus tard, il déménage l’atelier au second étage. Ce déménagement n’est pas sans causer d’ennuis ; il fallait d’abord y déménager tout l’outillage dont une presse-plieuse de 2000 livres et de 8 pieds de long. Les grandes feuilles de tôle de 36 par 96 pouces, de 28 par 96 pouces et autres devaient également être montées au deuxième étage. Toute la marchandise était livrée par le camion de monsieur Albio Bélanger et toute cette livraison devait être montée sans trop tarder. Au retour de l’école, cette pénible corvée revenait à ses filles aidées de leur père. Les gens se demandaient bien comment Georges pouvait s’y prendre pour sortir les grosses pièces ; son atelier donnait sur un escalier droit entre deux murs et la porte était en bas en face. Encore une fois, ses filles venaient à sa rescousse en l’aidant.
Dans ses débuts, Georges ne possédait qu’une bicyclette comme moyen de transport. Quelques années plus tard, il fait l’acquisition d’une camionnette ; cela rendait ses déplacements beaucoup plus simples et efficaces. Durant cette période sa fille aînée, Georgette, a commencé à enseigner à Saint-Cyrille ; Georges se faisait alors un devoir d’aller la conduire chaque lundi matin et de retourner la chercher chaque vendredi soir.
Georges Morneau dans son atelier
La clientèle de Georges était généralement locale. Il fabriquait un peu de tout pour la maison et la ferme. Parmi ses réalisations, on trouve des assiettes, des gobelets, des ustensiles, des moules, des tôles à biscuits, des entonnoirs, des chaudrons, des bouilloires, des casseroles, des bidons à lait, des sceaux, des dalles (gouttières), des tôles à baguettes pour le recouvrement des toits, des tuyaux de poêle, des réservoirs pour la récupération de l’eau. Certaines productions comme les réservoirs de 500 gallons pour l’eau d’érable, les chalumeaux et les chaudières étaient surtout fabriqués en hiver en vue de la prochaine saison des sucres. Adélia et ses filles participaient à la tâche et pouvaient fabriquer de 10 000 à 20 000 chalumeaux « goulet » pendant la saison froide. Il arrivait aussi fréquemment que des gens viennent voir Georges pour faire réparer certains accessoires ; il soudait, rivetait et rapiéçait à la grande satisfaction de ses clients. Ses cinq filles se débrouillaient bien dans l’atelier. Elles étaient en mesure de l’aider dans toutes sortes de travaux tels que le rivetage, le pliage et le transport des matériaux.
Tout l’espace de la maison de Georges était utilisé. La chambre des deux filles aînées était située au deuxième étage et donnait sur l’atelier. Il fallait en sortir décemment vêtu, car des clients risquaient de poindre à l’horizon à tout moment. Ces derniers craignaient que les filles se blessent avec tout le métal et les résidus qui jonchaient le sol, mais cela n’est jamais arrivé.
Famille de Georges Morneau
Alors que Georges travaillait dans sa boutique, couvrait des toits ou posait des gouttières, Adélia tenait maison et faisait de la couture. Chaque dimanche matin, elle préparait les factures, les commandes de tôle et les fournitures. Elle s’occupait également de la comptabilité. Georges prenait une journée de repos bien méritée le dimanche. Il profitait souvent de ce jour pour aller à la pêche à l’éperlan au quai de Saint-Jean ou encore pour visiter la famille. Lorsque l’occasion se présentait, il aimait aussi regarder la lutte et le hockey à la télévision. De temps en temps, il s’amusait à dessiner un cheval, un castor et ensuite les reproduire sur une feuille de tôle. Chaque été, Georges et Adélia faisaient un grand jardin dont ils s’occupaient méticuleusement. Pour leur bon plaisir et réduire les coûts de subsistance, la famille Morneau a déjà élevé quelques lapins, cochons et poules.
Vers 1968, sa maison doit être déplacée pour la prolongation de la route 24 jusqu’à la route 2. Cette amélioration de la route 24 est rendue nécessaire en raison de l’arrivée de l’autoroute 20 qui amène de plus en plus de circulation et qui congestionne le secteur. C’est ainsi que la maison est déplacée et tournée de 90 degrés vers le sud. Il profite de ce déménagement pour allonger sa maison et y installer sa boutique en bas. Au début des années 1970, son frère Gustave et son épouse qui vivent à Montréal veulent venir s’installer à Saint-Jean. À la demande de son frère, Georges transforme son atelier en un appartement pour accommoder son frère. C’est ainsi que Georges prend la décision de faire construire son atelier tout près de la maison. Après le décès de son épouse Adélia le 31 mai 1974, Georges pense de plus en plus à prendre sa retraite. C’est ainsi qu’à partir des années 1980 il délaisse peu à peu le métier de ferblantier pour profiter pleinement du temps qui lui reste.
Georges était un bon vivant et il aimait les gens. En hiver, lorsqu’il déblayait sa cour, il aimait bien s’arrêter et jaser avec les gens qui passaient. Lors de ses 80 ans, en mars 1991, ses filles lui ont réservé une belle fête ; elles ont installé dans la neige devant la maison des panonceaux en plastique à l’effigie de mouffettes ainsi qu’une affiche soulignant ses 80 ans. Les gens venaient ou appelaient pour lui souhaiter une bonne fête. Cette fête lui a vraiment fait plaisir. Il était très fier de ses cinq filles et de ses trois petites-filles. Au crépuscule de sa vie bien remplie, le 7 novembre 2000, il devient arrière-grand-père de deux arrière-petits-fils (jumeaux). Son souhait d’avoir des garçons se réalise enfin d’une certaine façon. Georges est décédé peu de temps après, soit le 25 novembre 2000 et a été inhumé au cimetière « Sous Les Étoiles » de la paroisse.
Notes : Georges Morneau, ferblantier-couvreur
1 Cinq des enfants de Tobie Morneau et Anna Desrosiers sont décédés en bas âge dont deux après Georges ; il est donc le benjamin vivant de cette famille.
2 La route 24 est l’ancien numéro de la route 204 actuelle. Cette route ne se terminait pas sur la 2 (route 132 actuelle), mais sur le chemin du Roy qui donnait accès à cette dernière.
3 Comité culturel de la municipalité de Saint-Jean-Port-Joli, Circuit du patrimoine bâti – Saint-Jean-Port-Joli, Culture, communications et condition féminine, gouvernement du Québec, p. 12.
4 Son père avait acquis cette maison d’Édouard Giasson le 27 septembre 1920 ; il l’a loué à Georges à compter du 4 août 1945 à raison de 25 $ par année. La maison a été léguée à Martine Morneau, sœur de Georges, peu après ; elle l’a cédée à Georges le 12 octobre 1962 (source : registre foncier du Québec, cadastre 3873672).
5 Tobie Morneau avait signé une convention avec Pierre Fournier pour une partie de la terre du 81 de Gaspé Ouest le 4 juin 1906. Il avait ensuite fait un échange de terre avec Saluste Robichaud le 20 septembre 1923. Martine a reçu la propriété en partie le 17 septembre 1945 et le 10 mai 1950. (Source : registre foncier du Québec, cadastre 3873047).
6 Le chantier était alors connu sous le nom de Geo. T. Davie and Sons Ltd.
Sylvain Lord et les filles de Georges Morneau