Les doigts de fée
par Journal L'Attisée le 2017-12-01
Camille a 12 ans. Depuis quelque temps déjà ses parents lui accordent une allocation, en échange d’une participation aux tâches de la maison. Afin de lui inculquer le sens de l’épargne, ils exigent qu’elle dépose la moitié du montant au compte qu’ils lui ont ouvert; cela s’ajoutera un jour aux fonds qu’ils mettent de côté pour ses études. Elle peut dépenser à sa guise l’autre moitié de ses sous. Cette année-là, Camille est fière d’elle. Tout en s’offrant de temps à autre des gâteries, elle est parvenue à mettre de côté une bonne partie de ce dont elle pouvait disposer à sa guise. Elle aura donc le plaisir d’offrir à ses proches de modestes cadeaux de Noël. À l’approche des Fêtes, fébrilement, elle entreprend son magasinage en accordant beaucoup de soin au choix des présents pour qu’ils correspondent au goût des destinataires. Elle a vite fait de dénicher ce qui plaira à ses parents, son grand frère, sa petite sœur. Elle manque cependant d’inspiration en ce qui concerne sa grand-mère. Il lui semble que celle-ci a vraiment tout ce qu’il lui faut, d’autant plus qu’elle vit à présent dans un petit logis.
À quelques jours de Noël, Camille n’a toujours pas trouvé le cadeau qui comblerait grand-maman. Elle entre sans conviction dans un magasin de tissu et accessoires de couture : sa grand-mère, couturière émérite, a certainement tout ce dont elle a besoin en ce domaine. Parmi de menus objets, la fillette découvre un assortiment de dés. L’un d’eux est doré, tout brillant. Elle sait bien que sa grand-mère en possède plus d’un, mais celui-ci lui semble unique, à la hauteur de son immense talent. Au fil des années, combien de vêtements, costumes et jouets ont été fabriqués par les mains agiles! Camille jette donc son dévolu sur ce dé qui à ses yeux fait figure de trophée. Et c’est avec grande fierté que le matin de Noël elle offre ce petit trésor qu’elle a eu tant de mal à dénicher. Elle a pris soin de bien enrubanner le minuscule écrin et d’y joindre une carte : À toi ma chère grand-maman, afin de bien protéger un de tes doigts de fée. Le dé, si joli, tout doré, est jugé trop mignon pour être utilisé : il est déposé, bien en vue, sur une petite étagère au-dessus du poste de travail, dans la salle de couture où grand-mère réalise ses chefs d’œuvre.
Quelques années plus tard, Camille fait, avec sa classe, un voyage en France. Elle y visite de nombreux sites, monuments et bien sûr d’incontournables boutiques de souvenirs. Dans l’une d’elles, elle aperçoit de jolis dés en porcelaine de Limoges, finement enjolivés de motifs floraux. Elle en choisit un pour sa grand-mère : il tiendra compagnie au dé doré.
La jeune fille prend goût aux voyages; ses études, puis sa vie professionnelle la conduisent un peu partout dans le monde. Chaque fois, elle parvient à découvrir un dé représentatif de l’endroit visité. Cette initiative devient contagieuse, d’autres membres de la famille ramènent à grand-mère des dés originaux glanés au gré de leurs pérégrinations. Elle les expose dans un joli présentoir, fabriqué par l’amoureux de Camille, offert lui aussi en cadeau de Noël lors d’un mémorable réveillon.
Triste Noël cette année : c’est le premier sans grand-maman qui a récemment tiré sa révérence durant une absence de Camille qui globetrottait pour son travail. Celle-ci s’en veut de n’avoir pu l’embrasser une dernière fois… Malgré la peine, la famille se réunit, on perpétue la tradition, c’est un moment de souvenance, on échange des présents. Le dernier colis sous le sapin ne porte pas d’étiquette. La mère de Camille le lui remet : il vient de grand-mère. La jeune femme y découvre la collection, le présentoir et ce mot de la main aux doigts de fée : Ma Petite Soie, mon voyage s’achève, le tien est en devenir. J’emporte avec moi tout l’amour que vous m’avez donné. Grâce aux dés que toi et bien d’autres m’avez offerts j’ai pu imaginer vos périples. Ils m’ont été précieux; ils te reviennent tous, à toi l’initiatrice de cette jolie collection. Parmi eux mon préféré, mon premier, le dé doré.
Rachel Grou